Aujourd’hui, je souhaite parler de ce que j’oserai appeler l’affaire Jade Raymond, une productrice de jeux vidéo.
Si les développeuses et plus généralement les femmes qui travaillent dans le milieu des jeux vidéo sont souvent victimes de sexisme, le cas dont j’ai envie de parler me semble battre des records.
Connaissez-vous Jade Raymond, ancienne développeuse chez Sony, puis EA, maintenant productrice chez Ubisoft ?
L’autre jour, je suis tombé sur ce vieux sujet de 2012 où une bande d’hommes font un débat pour savoir si c’est une vraie ou une fausse développeuse, chacun y allant de sa petite analyse, de sa petite validation positive ou négative personnelle. Oui, car voyez-vous, Jade Raymond est atteint d’une grave maladie, elle est jolie, ce qui en fait nécessairement une femme qui profite de son physique pour obtenir un poste plus élevé, et qui n’a pas la moindre compétence réelle.
Après avoir lu ça, j’aurai pu m’arrêter là, me dire que le 15-18 de jeuxvideo.com n’est pas spécialement réputé pour son féminisme et son intelligence. Mais je voulais en savoir plus. Une recherche « Jade Raymond » dans les news du site nous donne un panel de résultat que l’on peut classer aisément en deux catégories. Les articles qui ne contiennent pas de photo de la productrice car traitant d’un jeu produit par elle, et ceux qui en contiennent une, car traitant directement de Jade Raymond. Dans le premier cas, les réactions sont les réactions habituelles des true gamers : mauvaise humeur, ça suffit les DLC trop cher, le jeu trop casual, etc… Dans le second, la plupart des commentaires concernent le physique de Jade Raymond, avec validation ou pas de celui-ci. Je vous mets les PREMIERS commentaires d’un article de 2009 la concernant, intitulé « Jade Raymond déménage », article relatant simplement sa promotion au sein d’Ubisoft :
Même la rédaction de jeuxvideo.com s’y met dans la news de 2007 « Assassin’s Creed franchit la limite », qui ne concerne même pas la productrice :
Ce n’est pas encore du niveau de Joystick, mais avec un peu d’entrainement, je suis sûr que vous pouvez y arriver !
Heureusement, un modéré vient immédiatement rappeler à jeuxvideo.com son devoir d’information (encore une fois, c’est le premier commentaire, pas besoin d’aller chercher la petite bête) :
Bon, j’ai assez tapé sur jeuxvideo.com. Inutile de dire « nan mais c’est juste la communauté jvc qui est pourrie, tu vas sur XYZ.com la communauté est bien plus saine », car 1. Jeuxvideo.com est de TRÈS loin le site de jeux vidéo français le plus fréquenté et 2. on trouve des news et forums similaire sur les autres sites du milieu, de jeuxvideo.fr jusqu’au forum hardware.fr, où s’entassent sans modération aucune les propos tels que « C’est vrai qu’elle est bonne la nana », ou le victim-blaming « M’enfin, si elle s’affiche partout avec son sourire Ultra bright, qu’elle ne s’étonne pas de faire l’objet de critiques ». Quelqu’un d’un peu plus raisonné, essaie quand même de rappeler « qu’on ne devient pas productrice en claquant des doigts », mais on lui répond assez rapidement « Par contre en couchant oui ».
Du côté des anglophones, un rédacteur de Kotaku rédige cette news « Jade sent jolie au London Game Fest »:
Plus tard en 2011, c’est cette photo qui montre Jade Raymond devant son équipe qui a rapidement été transformée :
En parlant de 2011, je suis tombé sur un bien étrange montage sur un Gameblog (indépendant de la rédaction du site). Le blogueur prétend qu’il « a fait l’amour à Jade Raymond », et s’excusant de ne pas pouvoir « décemment pas vous montrer une photo en pleine action voici un cliché pris en studio un quart d’heure plus tôt (ou pas). Je tiens d’avance à m’excuser auprès de Jade Raymond (qui n’a rien demandé) pour cet odieux montage… » En effet, elle n’a rien demandé, et c’est pourquoi je ne le diffuserai pas ici. Il s’agit d’un photomontage de Jade Raymond posant nue devant le blogueur.
On arrive maintenant à ce pourquoi j’ai voulu véritablement écrire cet article. Cette fois-ci, les événements datent de 2007, peu de temps après la nomination de Jade Raymond comme productrice chez Ubisoft.
Sur le forum Something Awful a été diffusée une bande dessinée très courte mettant en scène une Jade Raymond incompétente, tentant de vendre le premier Assassin’s Creed sur lequel elle travaillait en se prostituant explicitement à une bande de nerds : une fellation en échange de l’achat du jeu. Le contenu est explicitement pornographique et extrêmement insultant pour la productrice.
Cette bande dessinée a immédiatement fait réagir Ubisoft qui en a exigé le retrait sur certains sites où elle a été posté. Cependant, celle-ci est toujours accessible sur le web en 2014. On la trouve aisément sur internet avec une simple recherche (filtrage activé ou non). Ce qui signifie que toute personne souhaitant se renseigner honnêtement sur Jade Raymond peut, encore aujourd’hui, tomber sur cette horreur…
Les réactions sont assez mitigées sur les communautés anglaises, même si j’ai l’impression que la plupart des gros sites ont condamné la chose. Pour les blogueurs, c’est une autre histoire. J’en ai trouvé qui hébergeaient directement l’image, d’autres qui expliquaient comment la voir. L’un nous explique même que c’est la faute d’Ubisoft :
Les communautés françaises ont été plus silencieuses. Aucun mot sur jeuxvideo.com ou jeuxvideo.fr par exemple. Cependant, Gameblog en a fait un article qui … vaut le détour. Vraiment. Intitulé « Jade met pas ce genre de truc », je vous laisse l’apprécier :
Pratiquement chaque phrase de cet article est une monstruosité. Dès le titre :
– « Jade met pas ce genre de truc » : d’abord, monsieur de Gameblog, on se fout de ce que met Jade Raymond dans sa vie privée;
– « Ubi s’attaque à une parodie graphique de Jade » le mot parodie n’est pas anodin, il sous-entend que Jade Raymond a vraiment un comportement de ce genre, et qu’il ne s’agirait donc juste que d’une simple exagération satirique; elle aurait une certaine part de responsabilité.
Je remarque que Jade Raymond est ici familièrement appelée Jade, sans nom de famille. Le premier paragraphe raconte l’histoire, en précisant que le visage de Jade Raymond est le « (joli) visage promotionnel du tout récent Assassin’s Creed », en insistant sur le côté « parodique » (donc relativement vrai au final : son visage à bien servi à vendre la série, selon eux). Dans le second paragraphe, ils précisent qu’ils ne peuvent pas héberger la BD ou la diffuser, mais on devine qu’il s’agit là avant tout de raisons légales et non éthiques puisqu’ils s’empressent de fournir un lien, toujours fonctionnel… près de sept ans après ! Ils nous préviennent également que la BD n’est pas si drôle, ni si pornographique que ça, zut alors. C’est vrai que c’est dommage, elle ne fait « que » des fellations à des hommes pour vendre ses jeux; c’est drôle, mais ça aurait l’être plus ! Hilarant, une professionnelle du jeu vidéo traitée ainsi.
Personnellement, je souhaite à Jade Raymond la meilleure continuation possible; sans jamais avoir vu son visage avant la semaine dernière, j’ai acheté Assassin’s Creed I et II il y a longtemps et j’ai passé un très bon moment devant ses jeux.
Pour aller plus loin :
http://www.feministe.us/blog/archives/2007/11/19/the-trouble-with-jade/
http://geek-woman.com/wordpress/2007/11/20/the-jade-raymond-controversy-video-interview-details/
Edité par Mar_Lard