Fake geek girl et gestion de bad buzz

Ce matin, un sujet trop banal est revenu sur la toile française : le spectre de la fake geek girl.

Mais oui, vous savez, cette catin qui ose se prétendre gameuse alors qu’elle ne joue que sur mobile/ne joue que sur PC/n’a joué qu’à un Zelda/n’est pas capable de citer 100 Pokémon de 1ère génération (barrez la mention inutile).

Un mal terrible, comme vous pouvez l’imaginer, qui salit notre communauté.

Bref. Sur le site bénévole Happy 2 cats, un rédacteur s’est fendu de deux textes brillants proposant de partir à la « chasse aux fake nerd girls » (… extermination de vermine ?) et de devenir un « True Gamer ».

Morceaux choisis :

« Non, combien de fois une fille vous disait qu’elle était une geekette, mais au final vous vous rendiez compte que pour elle, être une geekette = passer sa vie sur facebook et jouer aux Sims. Forcément, ça déçoit… Votre rêve de créer quelque chose ensemble s’effondre (ndlr : un jeu, un site, un script…). »

Oh bah tu peux toujours construire une maison en banlieue à Zarbville hein.

« Quoi qu’il en soit, je pense qu’on est tous d’accord pour dire qu’il ne suffit pas de se dire geek pour le devenir. Même moi je ne me considère pas pleinement méritant de ce titre. »

ROH LALA OOOOH LE NOBLE TITRE DE GEEK *__*

« Alors prenons une fille moyenne, stéréotypée qui vit sa vie, fait des études parce qu’elle est un peu obligée et rêve qu’un mec attentionné s’occupe d’elle »

Ma vie est tellement triste sans homme dans mon pieu, heureusement qu’il me reste les bishônens sushi :’(

« Fais un test coco, la prochaine fois que tu en vois une demande lui de citer des Pokémons des premières générations, on verra combien elle t’en dira 😉 »

Cite-moi le nom de tous les acolytes du Maître dans Fallout 1, dis-moi de quel plan démoniaque précis vient l’Emprisonné dans BG2 Throne of Bhaal, et récite-moi une entrée complète du Codex de Mass Effect 1. Attends mec, c’est la base.
Moi aussi je peux faire ça. Tu crois qu’on a que ça à foutre de répondre à tes questions quand on geeke ?

« La concentration n’est pas innée : elle s’apprend. C’est comme ça qu’un tendre cazu, à force de passer sur des jeux qui nécessitent de plus en plus d’effort intellectuel et de temps d’attention deviendra un vrai gamer digne de ce nom. Hé oui, c’est bien cela qui nous distingue de la plèbe : Nous jouons à des jeux qui demandent de l’investissement et de l’attention. »

ON EST DES VRAIS. ON A DES GONADES. PAS COMME LA PLEBE. La plèbe mec, sérieusement.

« J’ai passé un peu de temps pour enquêter sur ce phénomène, et j’ai compris pourquoi cazus et gamers sont si différents. Il s’agirait du but premier : L’un veut juste s’amuser, prendre du plaisir un instant, tuer le temps d’une manière plaisante, quitte à payer assez cher pour des choses qui n’en valent pas toujours la peine…et l’autre cherche à vivre à travers son expérience, construire un rapport unique pendant toutes ces heures, être fidèle au point de consacrer la moindre de ses heures libres et de son argent pour toujours s’améliorer, construire des choses, faire tout pour réussir encore mieux… »

… en bref, s’amuser.

Alors on va être clair, hein ? Ce n’est pas parce qu’on se définit geek qu’on est soudainement au-dessus des autres (« de la plèbe ». LA PLÈBE, sans déconner mec, je m’en remets pas) ; on est certainement pas les gardiens exclusifs de cette culture. J’en ai par-dessus la tête – et je ne suis pas la seule – de ce snobisme, de ce sectarisme qui vise à exclure tous ceux qui n’auraient pas notre vision exacte de ce qu’est un geek, ou plutôt de pourquoi on se définit comme geek.

Parce que oui, il y autant de définitions du geek que de geeks.

Surtout que bon hein, snobisme, certes, mais surtout dirigé contre les femmes. C’est bien connu, nos centres d’intérêts – hors fringue et drague – ne visent en réalité qu’à partir à la chasse au mâle (j’invente rien hein, c’est Altikan, le rédacteur, qui a dit ça).

Il faut chasser cette vermine, je vous dis. Balancez des quizz, remettez en cause leur passion, foutez-les mal à l’aise en pleine convention ; gardons la communauté PURE.

C’est clair, c’est vachement inclusif et ça donne trop envie de s’intéresser à la culture geek, des comportements pareils. Surtout que c’est pas comme si la plupart d’entre nous n’avait pas subi ce genre de comportements de merde au bahut.

Vous réalisez quand même qu’il faut vraiment qu’on l’aime, cette culture, nous autres nanas. Vu qu’y aura toujours un bas du front pour venir nous emmerder avec ses quizz ou ses commentaires désobligeants sur notre « prétendue » passion, est-ce que t’as joué à ci, à ça, est-ce que t’as battu tel boss, c’est qui Machin, et gnagnagna.

Nous ne sommes pas les gardiens d’un média sacré, nous ne sommes pas dans un club VIP, nous sommes juste des gens qui aimons un truc en commun. Jouer. Regarder des séries. Que sais-je.

Et puis même ! L’idée c’est pas partager sa passion ? Concrètement, s’il y a des « fake geek girls », qu’est-ce que ça peut vous foutre ? Sérieusement ? C’est si insurmontable que ça de les ignorer si elles vous démangent tant ? Ou alors, je sais pas moi, si vous pensez qu’un jeu pourrait l’intéresser, montrez-lui ! Si elle aime pas tant pis, si elle kiffe, tout le monde est gagnant et vous vous serez fait une pote !

Il n’y a rien – RIEN – à gagner à continuer à jouer les sectaires exclusifs. Déjà parce que personne ne sera d’accord sur les critères « d’adhésion » à la communauté et qu’on continuera à se bouffer le nez comme des cons si on continue. Et puis merde, vous nous emmerdez. Je préfère cent fois passer mon aprèm avec une « fake geek girl » qu’avec un geek misogyne et sectaire. Je me poserais même pas la question.

Dieu merci, je n’étais pas la seule à être dégoûtée par un mode de pensée aussi étroit. L’article a été largement commenté à la négative, et le site a du réagir. La réaction s’est avérée intéressante. Et rafraîchissante.

Parlons un instant de community management.

Dans le métier, je suis sidérée de voir le nombre de CMs qui considèrent que pour gérer un bad buzz, il faut effacer toute trace de commentaire négatif dans l’espoir que les gens oublient l’incident et vaquent à leurs occupations dans la joie et la bonne humeur.

Seulement, un tel comportement n’a tendance qu’à amplifier le phénomène, puisque les gens n’aiment pas trop être pris pour des cons ; et au final, vous vous retrouvez à pleurer des larmes de sang en voyant le nombre de mentions injurieuses et cyniques sur vos comptes sociaux.

En plus, Internet n’oublie jamais. Vous pouvez être certain que si le bad buzz a été puissant, il sera retenu et impactera durablement la notoriété de votre marque.

Sur le coup, dans l’affaire d’Altikan et de sa misogynie à deux balles, j’ai été agréablement surprise : non seulement le site a affiché les commentaires négatifs sur les deux articles incriminés, mais il s’est désolidarisé de leur auteur pour adresser ses excuses aux personnes qui ont été offensées… et supprimer l’article sur les fake geek girls. Ma première réaction a été de dire « ah, enfin un bad buzz pas trop géré avec les pieds ». Sauf que non : gérer un bad buzz, c’est aussi faire preuve de transparence et d’honnêteté avec sa communauté. Pas supprimer le problème en se servant du rédacteur comme bouc émissaire en mode « C’est pas moi madame, c’est lui ».

De plus, supprimer un article comme celui-là, qui répète un discours trop souvent répandu dans notre chère communauté, aurait provoqué des réactions du type « Censure », « Politiquement correct », « Cay la faute aux féministes », etc. Surtout que le sujet, ici, est de faire ouvrir les yeux aux geeks qui penseraient encore vraiment que le cancer de la communauté, serait les affreuses fake geek girls et les noobs. Alors qu’en fait, c’est plutôt les insupportables snobs qui foutent la merde.

C’est par la suite que Happy 2 Cats a réagi, cette fois-ci, exactement comme il le fallait : ils ont remis l’article en ligne, en précisant qu’il ne représentait que l’avis d’un rédacteur, qu’ils ne partagent pas, et ont publié des excuses publiques sur Facebook

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…et sur leur site.

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En bref, ils se sont foirés en termes de gestion de publications, puisqu’ils n’avaient pas relu l’article au préalable ; et ils le reconnaissent d’eux-mêmes. Mais niveau damage control, malgré une réaction initiale un peu foirée, le résultat est probant. Ils ont écouté les critiques, répondu au problème. Pédagogie on vous dit.

On attend toujours, en revanche, les réactions de l’auteur.

[MàJ du 9 juin 2014] L’auteur de l’article a publié des excuses.