L’affaire Jade Raymond

Aujourd’hui, je souhaite parler de ce que j’oserai appeler l’affaire Jade Raymond, une productrice de jeux vidéo.
Si les développeuses et plus généralement les femmes qui travaillent dans le milieu des jeux vidéo sont souvent victimes de sexisme, le cas dont j’ai envie de parler me semble battre des records.
Connaissez-vous Jade Raymond, ancienne développeuse chez Sony, puis EA, maintenant productrice chez Ubisoft ?
L’autre jour, je suis tombé sur ce vieux sujet de 2012 où une bande d’hommes font un débat pour savoir si c’est une vraie ou une fausse développeuse, chacun y allant de sa petite analyse, de sa petite validation positive ou négative personnelle. Oui, car voyez-vous, Jade Raymond est atteint d’une grave maladie, elle est jolie, ce qui en fait nécessairement une femme qui profite de son physique pour obtenir un poste plus élevé, et qui n’a pas la moindre compétence réelle.

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Après avoir lu ça, j’aurai pu m’arrêter là, me dire que le 15-18 de jeuxvideo.com n’est pas spécialement réputé pour son féminisme et son intelligence. Mais je voulais en savoir plus. Une recherche « Jade Raymond » dans les news du site nous donne un panel de résultat que l’on peut classer aisément en deux catégories. Les articles qui ne contiennent pas de photo de la productrice car traitant d’un jeu produit par elle, et ceux qui en contiennent une, car traitant directement de Jade Raymond. Dans le premier cas, les réactions sont les réactions habituelles des true gamers : mauvaise humeur, ça suffit les DLC trop cher, le jeu trop casual, etc… Dans le second, la plupart des commentaires concernent le physique de Jade Raymond, avec validation ou pas de celui-ci. Je vous mets les PREMIERS commentaires d’un article de 2009 la concernant, intitulé « Jade Raymond déménage », article relatant simplement sa promotion au sein d’Ubisoft :

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Même la rédaction de jeuxvideo.com s’y met dans la news de 2007 « Assassin’s Creed franchit la limite », qui ne concerne même pas la productrice :

Assassin's Creed franchit la limite

Ce n’est pas encore du niveau de Joystick, mais avec un peu d’entrainement, je suis sûr que vous pouvez y arriver !
Heureusement, un modéré vient immédiatement rappeler à jeuxvideo.com son devoir d’information (encore une fois, c’est le premier commentaire, pas besoin d’aller chercher la petite bête) :

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Bon, j’ai assez tapé sur jeuxvideo.com. Inutile de dire « nan mais c’est juste la communauté jvc qui est pourrie, tu vas sur XYZ.com la communauté est bien plus saine », car 1. Jeuxvideo.com est de TRÈS loin le site de jeux vidéo français le plus fréquenté et 2. on trouve des news et forums similaire sur les autres sites du milieu, de jeuxvideo.fr jusqu’au forum hardware.fr, où s’entassent sans modération aucune les propos tels que « C’est vrai qu’elle est bonne la nana », ou le victim-blaming « M’enfin, si elle s’affiche partout avec son sourire Ultra bright, qu’elle ne s’étonne pas de faire l’objet de critiques ». Quelqu’un d’un peu plus raisonné, essaie quand même de rappeler « qu’on ne devient pas productrice en claquant des doigts », mais on lui répond assez rapidement « Par contre en couchant oui ».

Du côté des anglophones, un rédacteur de Kotaku rédige cette news « Jade sent jolie au London Game Fest »:

Jade Smells Pretty At London Games Fest

« Les visiteurs du London Game Festival ce week-end auront la rare opportunité de s’approcher assez de Jade Raymond d’Ubisoft pour baigner dans la chaude odeur fleurie qu’elle laisse partout où elle passe. Elle fera une apparition au magasin HMV sur Oxford Street Samedi après-midi pour promouvoir un jeu à propos d’assassins qui font quelque chose, peut-être tuer ce groupe qui chante la chanson « Can You Take Me Higher ». Le communiqué de presse ne parle pas de démonstration de nouveaux niveaux de la dernière version du jeu, mais cela n’a pas d’importance. Personnellement, j’espère qu’elle annoncera un nouveau jeu où tu bouges juste la caméra autour d’un modèle 3D de sa personne pendant des heures. Je paierai des centaines de dollars. Ou de livres. Des livres de dollars. Lisez la suite pour le communiqué de presse considérablement plus sain. »

Plus tard en 2011, c’est cette photo qui montre Jade Raymond devant son équipe qui a rapidement été transformée :

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« Beauté : Parce que le travail, c’est pour les losers derrière toi »

En parlant de 2011, je suis tombé sur un bien étrange montage sur un Gameblog (indépendant de la rédaction du site). Le blogueur prétend qu’il « a fait l’amour à Jade Raymond », et s’excusant de ne pas pouvoir « décemment pas vous montrer une photo en pleine action voici un cliché pris en studio un quart d’heure plus tôt (ou pas). Je tiens d’avance à m’excuser auprès de Jade Raymond (qui n’a rien demandé) pour cet odieux montage… » En effet, elle n’a rien demandé, et c’est pourquoi je ne le diffuserai pas ici. Il s’agit d’un photomontage de Jade Raymond posant nue devant le blogueur.

On arrive maintenant à ce pourquoi j’ai voulu véritablement écrire cet article. Cette fois-ci, les événements datent de 2007, peu de temps après la nomination de Jade Raymond comme productrice chez Ubisoft.
Sur le forum Something Awful a été diffusée une bande dessinée très courte mettant en scène une Jade Raymond incompétente, tentant de vendre le premier Assassin’s Creed sur lequel elle travaillait en se prostituant explicitement à une bande de nerds : une fellation en échange de l’achat du jeu. Le contenu est explicitement pornographique et extrêmement insultant pour la productrice.

Cette bande dessinée a immédiatement fait réagir Ubisoft qui en a exigé le retrait sur certains sites où elle a été posté. Cependant, celle-ci est toujours accessible sur le web en 2014. On la trouve aisément sur internet avec une simple recherche (filtrage activé ou non). Ce qui signifie que toute personne souhaitant se renseigner honnêtement sur Jade Raymond peut, encore aujourd’hui, tomber sur cette horreur…

Les réactions sont assez mitigées sur les communautés anglaises, même si j’ai l’impression que la plupart des gros sites ont condamné la chose. Pour les blogueurs, c’est une autre histoire. J’en ai trouvé qui hébergeaient directement l’image, d’autres qui expliquaient comment la voir. L’un nous explique même que c’est la faute d’Ubisoft :

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« Merci Ubisoft d’avoir nui à l’image des femmes dans l’industrie du jeu vidéo en faisant de Jade Raymond un sex-symbol.
Pourquoi ne pas admettre que ton département Relations Publiques s’est foiré, et que ces réactions étaient entièrement prévisibles ?
Assassin’s Creed allait de toute façon se vendre de son propre mérite, mais il a fallu que tu fasses le malin, hein.
Ubisoft, tu es entièrement responsable pour ça. »

Les communautés françaises ont été plus silencieuses. Aucun mot sur jeuxvideo.com ou jeuxvideo.fr par exemple. Cependant, Gameblog en a fait un article qui … vaut le détour. Vraiment. Intitulé « Jade met pas ce genre de truc », je vous laisse l’apprécier :

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Pratiquement chaque phrase de cet article est une monstruosité. Dès le titre :
– « Jade met pas ce genre de truc » : d’abord, monsieur de Gameblog, on se fout de ce que met Jade Raymond dans sa vie privée;
– « Ubi s’attaque à une parodie graphique de Jade » le mot parodie n’est pas anodin, il sous-entend que Jade Raymond a vraiment un comportement de ce genre, et qu’il ne s’agirait donc juste que d’une simple exagération satirique; elle aurait une certaine part de responsabilité.

Je remarque que Jade Raymond est ici familièrement appelée Jade, sans nom de famille. Le premier paragraphe raconte l’histoire, en précisant que le visage de Jade Raymond est le « (joli) visage promotionnel du tout récent Assassin’s Creed », en insistant sur le côté « parodique » (donc relativement vrai au final : son visage à bien servi à vendre la série, selon eux). Dans le second paragraphe, ils précisent qu’ils ne peuvent pas héberger la BD ou la diffuser, mais on devine qu’il s’agit là avant tout de raisons légales et non éthiques puisqu’ils s’empressent de fournir un lien, toujours fonctionnel… près de sept ans après ! Ils nous préviennent également que la BD n’est pas si drôle, ni si pornographique que ça, zut alors. C’est vrai que c’est dommage, elle ne fait « que » des fellations à des hommes pour vendre ses jeux; c’est drôle, mais ça aurait l’être plus ! Hilarant, une professionnelle du jeu vidéo traitée ainsi.

Personnellement, je souhaite à Jade Raymond la meilleure continuation possible; sans jamais avoir vu son visage avant la semaine dernière, j’ai acheté Assassin’s Creed I et II il y a longtemps et j’ai passé un très bon moment devant ses jeux.

Pour aller plus loin :
http://www.feministe.us/blog/archives/2007/11/19/the-trouble-with-jade/
http://geek-woman.com/wordpress/2007/11/20/the-jade-raymond-controversy-video-interview-details/

Edité par Mar_Lard

Bienvenue dans le monde du jeu vidéo !

Il y a quelques années, alors que je débutais tout juste dans le milieu du journalisme vidéoludique, je travaillais sur mon petit projet de mémoire sur l’enjeu social du médium, forte de mon envie de faire bouger les choses et les mentalités, optimiste et fraîche. Débuta la recherche d’intervenants, d’experts pour affiner mon sujet, discuter du projet, trouver des pistes.

Je suis du genre « lonesome gameuse », je ne joue que pour moi, fuis les modes online, pas une star du milieu ou une personnalité connue en somme. A ce moment-là, je commençais à constituer mon réseau, à parler aux gens en convention, en salon, à montrer que j’existe et que j’ai du talent à revendre.

Je souhaitais interviewer un journaliste plutôt connu pour ce mémoire. Appelons-le M., qui est du genre inaccessible quand on est personne. Je suis passée par les « petites portes » tant bien que mal jusqu’à entrer en contact avec un individu, appelons-le S., plutôt correct de prime abord, travaillant avec lui, me promettant de l’aider. J’y vois une opportunité folle, j’accepte tête baissée, sans me méfier une seule seconde. Et jusque là, tout allait bien.

S. était parfois un peu rentre-dedans, m’avait proposé un plan à trois avec une autre fille « pour rire » (à ce moment-là en tout cas, je l’ai pris sur le ton de la blague… si j’avais su !), mais je n’avais que mon mémoire en tête et s’il fallait supporter ce genre de discours auquel j’ai toujours répondu par la négative, j’étais prête à le faire.

Grâce à ce type, j’ai eu M. au téléphone, prévu une rencontre avec lui lors d’un salon afin que l’on se rencontre, qu’on fasse cette interview et il était très motivé par l’idée. Heureuse, je me pensais tirée d’affaire.

Jusqu’à ce que le discours lourd et « dragueur » de S. reprenne. Si déjà à l’époque, j’avais l’habitude de supporter ce genre de comportement, j’ai commencé à trouver ça un peu louche qu’il me parle de venir à l’hôtel, que si je me « comportais bien », j’irais au restaurant avec eux. Je n’avais rien demandé de tout ça, je n’ai jamais laissé espérer quoi que ce soit, je suis toujours restée professionnelle.

On m’avait promis une accréditation (« Non, ne la demande pas, je m’en charge ça sera plus simple ») que je n’ai pas eu (« Je ne t’ai rien promis, on ne fait pas rentrer n’importe qui comme ça »). Je me suis retrouvée obligée de patienter de très longues minutes pour pouvoir entrer, sentant légèrement le traquenard face à la réaction de S. pour la fausse promesse d’accréditation. Première grosse interview de ma balbutiante carrière, j’étais d’autant plus stressée même si prête à en découdre avec mes questions. Je portais une robe noire très simple, légèrement décolletée (détail anodin mais important pour la suite).

S. me réceptionne enfin, et fait tout pour me tenir près de lui, près du stand. J’ai fait la potiche (« Souris un peu, ça fera venir les gens ») toute la matinée à ses côtés. A attendre une entrevue qui n’arrivait pas. Il me propose d’aller boire un café, de bosser sur mes questions. Je suis de l’école des « On ne lit pas mes questions, on ne relit pas mes interviews » mais décontenancée, j’accepte. Il s’assoit trop près de moi. Regarde un peu trop mon décolleté. Gêne.

« Dis donc, t’as quand même une sacrée poitrine ! »

Re-gêne. Je n’ose rien dire. Je balbutie un « Merci », je commence à avoir un peu peur.

Arrive midi, M. m’aperçoit enfin, vient me dire bonjour. Je me dis que je suis presque sauvée, que tout ça sera bientôt terminé. Nous nous installons pour l’interview, S. se met un peu en retrait, observe mes moindres faits et gestes. L’entretien commence et se passe bien. Heureusement. M. me demande si je veux déjeuner avec eux. S. intervient en criant presque « Non celle-là, elle ne mange pas avec nous, elle a rien à foutre là, elle se casse. » Silence gêné dans l’assemblée. Il me fait sortir en me prenant par le bras et une fois dehors me glisse à l’oreille :

« Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, on y va ? »

« On va où ? »

« Dans un coin, tu sais… Mais si ça te gêne, on peut aller à l’hôtel, même si je pensais que tu étais un peu plus cochonne que ça. »

Et là, je réalise ce qu’il me veut. Qu’implicitement, j’avais donc marchandé une interview contre du sexe. Sauf qu’à aucun moment, il n’avait été question de ça. A aucun moment dans nos échanges le « deal » a été annoncé. Je refuse poliment.

« Non mais tu as cru que c’était gratuit ? Par gentillesse ? »

Je me sens prise au piège. Il y a du monde autour de nous, je pourrais hurler… mais M. n’est pas loin, je ne veux pas faire d’esclandre, je ne veux pas me faire remarquer, risquer de passer pour une folle (sa parole contre la mienne) mais j’ai surtout peur. Je négocie difficilement de partir faire un tour du salon arguant que j’ai payé une entrée je dois la rentabiliser, de le rejoindre plus tard. Il garde ma veste. Volontairement. Pour être sur et certain que je revienne.

Je suis partie me réfugier à l’autre bout du salon, tétanisée, ne sachant pas quoi faire. Me demandant si je devais le faire ou non, si c’était comme ça que fonctionnait ce milieu, si ça en valait la peine, ce qu’il se passerait si je disais oui, ce qu’il se passerait si je disais non… J’ai évidemment privilégié mon intégrité et ma dignité. J’ai même eu honte d’avoir pu penser UNE SEULE SECONDE devoir le faire.

Je suis une fille un peu réservée, je n’ose pas blesser les gens, je ne sais pas dire concrètement « Non » ou « Merde » donc je monte un mensonge impliquant la famille, un accident grave etc, solution lâche mais efficace. Pas eu besoin de penser à beaucoup de choses tristes pour retourner auprès de S. en pleurant, tellement je suis à fleur de nerfs. J’explique que je dois partir, il me dit que non, que j’ai le temps, que je dois rester, que je n’ai pas passé assez de temps avec lui. Je récupère ma veste, il me force à lui faire un câlin, bien trop long à mon goût. Je déteste le contact forcé. J’ai envie de vomir. Je fuis en courant le salon, me pensant hors d’atteinte, tranquille.

Faux. C’est là que le harcèlement a commencé. Il m’a envoyé des sms pour savoir quand je revenais, pour me dire que j’avais toujours une dette, que c’était honteux cette façon de réagir, de ne pas tenir mes engagements. Il m’a aussi dit que « le milieu fonctionnait comme ça », qu’en tant que fille je n’avais pas 36 solutions pour réussir, qu’il avait l’habitude de faire ça avec d’autres filles qui souhaitaient quelques avantages. Qu’elles n’avaient jamais dit non, qu’il ne comprenait pas ma réaction, que je n’étais pas normale.

Douche froide. Il a fini par se lasser. Puis il a été remercié, est sorti de tout ça. Après cette première expérience, je me suis longtemps demandée si je voulais vraiment travailler dans un milieu qui traite les femmes de la sorte, comme des « vide-couilles » en somme, où la seule légitimité que l’on a, c’est par le corps.

Avec les années, ce qui me choque le plus, c’est qu’à ce moment-là, j’étais tellement « conditionnée » à avoir une image très précise et sexualisée de la femme dans le monde du jeu vidéo que j’ai vraiment réfléchi à si je devais laisser cet homme abuser de ma naïveté et de ma dignité. Je me suis vraiment demandée si en tant que journaliste spécialisée, j’allais devoir vivre avec ce genre de comportement quotidiennement. Avec ce genre d’acte, avec ce genre de réputation largement ouverte au slut-shaming, aux rumeurs, à la saloperie, au harcèlement.

Depuis, je me suis penchée sur la question du féminisme, de la représentation de la femme dans ce médium que j’adore. Je ne m’interroge plus sur le « dois-je le faire / ne pas le faire » si ma dignité est en jeu, car je me respecte. Je sais que j’ai des armes légitimes pour faire mon travail sans avoir à me justifier sur ma façon d’être, de m’habiller, de me comporter. Même si je me sens encore trop naïve, trop gentille. J’ai « digéré » cet épisode difficilement, mais ça n’a pas réussi à entacher ma motivation à travailler dans le jeu vidéo. Avec beaucoup plus de méfiance et de paranoïa c’est sur, mais avec la même passion comme un gros doigt levé vers ce genre de personnes.

Tâter le terrain

Pendant longtemps, car ce fut parmi mes premiers pas dans le monde « geek, » j’ai participé au forum du webzine « 42 » et ainsi qu’au webzine lui-même dans les derniers mois de sa publication. Ce forum a connu bon nombre de remous et de discutions engagées (et enragées) lorsque des remarques sur le sexisme dans les jeux vidéos se faisaient entendre.

Chaque fois qu’une des vidéos d’Anita Sarkeesian, sur sa série « Tropes vs Women in Video Games » sortait, les voix les plus virulentes étaient celles des levées de bouclier, et chaque fois il fallait tout ré-expliquer depuis le début. L’objectification, l’idéalisation, le male gaze et autres « bases » avaient droit à leur come-back pour chacune des vidéos. L’article bien connu de Mar_Lard a également eu le même effet, a amené aux mêmes explications encore et encore, aux mêmes levées de bouclier et, comme à chaque discussion sur le sexisme, toute les critiques imaginables faites au féminisme.

Suite à ces déchaînements, le forum semblait s’être calmé, même si, malheureusement, les deux « camps » restaient sur leurs décisions. Le forum — semblait — s’être calmé. Jusqu’à ce que, par-ci par-là, des tentatives de troll ne surviennent, comme pour jauger la situation, voir si l’on pouvait taper sur les féministes du forum sans se prendre une tape sur les doigts. Quelques fois j’ai tenté de répondre, mais on m’a fait comprendre que je réagissais « trop brusquement ».

Finalement, j’ai arrêté de participer à la vie du forum lorsque ces deux images ont fait leur apparition sur un topic dédié aux images amusantes :

Quand j’ai fait remarquer une tentative de troll, on m’a donné comme explication :

Les deux qui pourraient paraître « anti-féministe » c’est du second degré. On se vautre dans la facilite et c’est presque plus drôle que la blague de base.

Ou encore :

Moi je suis féministe, pour l’égalité, tout ça, mais j’ai trouvé les images rigolotes. L’auto-dérision, c’est cool.

C’est toujours la même chose, soit on ne comprends pas le second degré, surtout lorsqu’il est aussi évident (tousse) ou alors on n’a pas d’humour. Du coup, cela faisait quelques mois que je n’étais pas retourné sur le forum, et quand l’envie m’a pris d’y refaire un tour, sur le même sujet, le dernier post contenait ce montage :

Chiennes de garde

Après toutes les discussions qui avaient eu lieu, une attaque gratuite contre Mar_Lard revenait. Mais ce qui m’a le plus choqué, c’est que je reconnaissais l’image, qui provenait de ce tumblr « Les Concours débiles de CPC où CPC proposait un concours, un florilège d’images, parfois excellentes, reprenant en français intégral des jaquettes de jeux vidéo en anglais. Parmi toutes les images qu’il y avait, parmi les bons jeux de mot sur les titres de jaquettes qui se trouvaient dans la liste, celle la plus digne d’entrer dans la catégorie « image amusante » était celle qui avait le moins à voir avec le but originel du concours, et qui n’était qu’une « blague » mesquine.

C’est pour cette raison que je ne participerais plus au forum. Et c’est aussi pour cette raison que je trouve dommage qu’une communauté, qui pourtant était vivace, emplie de membres amusants, intelligents, perde des membres en se laissant gangrener par des personnes qui aiment à rire entres elles au dépend d’autres.

Parler du sexisme et de la représentation des femmes dans les jeux vidéo n’est facile nulle part. En faire prendre conscience est d’autant plus difficile. Je pense qu’une femme aura du mal à se sentir bienvenue sur quelconque forum présentant ce genre de « blague » et où la voix de quelques trolls est finalement plus à l’abri de celles tentant de s’en défendre. Le premier pas serait de reconnaître la réalité du sexisme dans le monde du jeu vidéo, et de respecter les personnes qui choisissent d’en parler, plutôt que de les faire taire à grand renfort de prétendu second degré.

Édité par Alda

Gay Guy Ubisoft

Chez Ubisoft, ils étaient frileux. Il leur semblait compliqué de mettre en scène une femme comme personnage principal d’un Assassin’s Creed. C’était une question « difficile ». « Tout ça a été décidé il y a des années, nous n’avons à aucun moment pensé : est-ce que ça pourrait être une femme ? » Le directeur artistique sous-entendait même qu’une femme assassin rendrait le jeu plus difficile à vendre. Pourtant, ils n’avaient pas mis de côté ce concept.

Ainsi, il est possible de jouer Aveline de Grandpré dans Assassin’s Creed Liberation. Elle sait aussi bien se défendre que les avatars masculins et a le mérite de ne pas être hypersexualisée. Ubisoft présente avec elle une héroïne métisse, représentant une minorité encore trop peu présente dans les avatars des jeux vidéo.

Malheureusement, certains joueurs le regrettent :

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« Bon gars Ubisoft : Fait un jeu avec protagoniste féminin, ne la sexualise pas outrageusement » :
« Je ne peux pas me branler là-dessus »
« Elle a des nichons plats »
« Elle est super moche »
« Je trouverais une façon de me branler là-dessus, ou j’en mourrais »
« Eeeeet le jeu est merdique… »
« Tu te comportes comme une féministe »
« Gars gay Ubisoft »
« La tresse est trop longue, 2/10 je ne baiserai pas »
« Et c’est bien ça ? Ha, GAAAAAYYYYYYYYYYYYYY »
« Plutôt Gars Gay Ubisoft »

 

En reprenant quelques memes, les commentaires fusent sur les seins du personnage (« flat boobs », les seins plats), l’impossibilité de se masturber dessus (« I can’t fap to this », ou « I will find a way to fap to this or die trying »). Le personnage serait laid (« ugly »).

Sexisme, homophobie (Ubisoft serait « gay » suite à la proposition de jouer ce personnage), racisme (il est aisé de sentir le racisme derrière certaines de ces réactions), voilà ce que les communautés de joueurs peuvent présenter.

La fangirl, nouvelle cible de la misogynie ordinaire

Ceci n’est pas tant un article sur le sexisme à l’encontre des femmes dans un milieu geek à prédominance masculine, qu’un article sur le sexisme à l’encontre d’un milieu geek à prédominance féminine. Oui, oui, cela existe. On a tendance à associer les recoins sombres d’Internet à des usagers masculins, et pourtant, il est des endroits peu connu des usagers « mainstream » qui sont presque entièrement féminins. De nombreuses utilisatrices, cachées derrière des pseudos et par écrans interposés, se retrouvent sur des sites bien particuliers où elles échangent, discutent, analysent, rigolent, débattent, s’émeuvent, s’excitent, créent, recréent et transforment des produits culturels. Bienvenue dans l’univers des fangirls.

Dites le mot « fangirl » et les gens pensent immédiatement à une préadolescente en larmes au concert de One Direction. Celle-ci, la pauvre, est déjà l’objet des rires dédaigneux des adultes qui restent perplexe devant les cahiers et les murs de ces demoiselles, plastronnés de sourires de Harry et Liam (qu’ils repensent à l’état des garçons entre 12 et 15 ans et ils auront peut-être un début d’explication). Mais la fangirl, c’est beaucoup plus que ça. J’en sais quelque chose, puisque que j’en suis une, et ça fait bien longtemps que j’ai passé ma période boyband.

Dans les années 2000, tout se passait sur le site Livejournal, où des bloggeuses (et quelques bloggeurs) de tous les âges s’enflammaient à propos d’Harry Potter ou de Twilight. Des tonnes de méta étaient publiées chaque jour, dont une bonne partie concernait les « ships » (raccourci de relationships, les relations amoureuses), objets d’innombrables conjectures, et les guerres verbales étaient parfois si intenses que certains posts généraient des milliers de commentaires. Quand les trolls s’en mêlaient et que l’on commençait à se traiter mutuellement de nazis, ça finissait sur l’excellent Fandom Wank (ce qui veut dire, pour les non-initiés, « branlette de fandom »).

Le fandom, c’est le groupe de fans d’un produit culturel. Et pour certains de ces produits, les fans sont très majoritairement des femmes. Aujourd’hui, elles ont migrées vers Tumblr et s’intéressent davantage à Sherlock, Supernatural, Doctor Who, l’univers Avengers et les deux sagas Tolkien, mais les us et coutumes restent les mêmes : débats sur les ships et production intensive d’œuvres transformatives, le tout agrémenté de gifs marrants et de commentaires assez salés sur les acteurs et personnages qu’elles adorent.

Jusque là tout va bien. Sauf que lorsque les médias ont découvert le pot aux roses -– des jeunes femmes qui se passionnent ensemble pour quelque chose, font des blagues à caractère sexuel, expriment du désir et de la créativité, imaginez un peu ! -– les fangirls ont été la cible d’attaques en règle qui ressemblent fort, ma foi, à de la misogynie pure et simple. Démonstration en trois points.

1. Cachez cette fanfiction que je ne saurais voir (sauf si c’est pour me payer votre tronche)

Premier objectif en ligne de mire : les « fanworks », c’est à dire toutes les déclinaisons de la fanfiction et du fanart. La fanfiction, discipline majoritaire, ce n’est pas quelque chose de nouveau, loin de là. La réappropriation de personnages pour réécrire leur histoire et en inventer de nouvelles est une pratique extrêmement ancienne, et sans même aller jusqu’à Roméo et Juliette de Shakespeare, qui n’est qu’une version parmi d’autres d’un conte oral, les fans de Star Trek dans les années 60 s’en donnaient à cœur joie.

Le phénomène a pris de l’ampleur et s’est féminisé avec Internet, mais c’est à la sortie de Cinquante Nuances de Grey, adaptation d’une fanfiction érotique de Twilight, que le monde a découvert, ébahi, ces jeunes femmes qui écrivaient pour leur plaisir et celui des autres des histoires transformatives. Pendant que les journalistes inventaient l’odieux terme « mommy porn » (par opposition au porno « normal », c’est à dire façonné pour les hommes), nous dans les fandoms, on se demandait pourquoi les gens étaient assez stupides pour payer vingt-cinq euros pour un livre ultra-médiocre alors que des histoires de qualité bien supérieure étaient disponibles gratuitement sur les nombreux sites de fanfiction.

Le problème, c’est que l’idée que des femmes entre elles puissent prendre en main des personnages fictifs et les utiliser dans des œuvres transformatives, et surtout dans des œuvres à caractère érotique, est une pilule apparemment difficile à avaler pour certains. Est-ce parce que cela va l’encontre de l’image bien lisse de la sexualité féminine que la société nous impose ? La femme indépendante et entreprenante fait-elle encore peur ? Quoiqu’il en soit, puisque les détracteurs des fanworks ne peuvent pas en arrêter la production –- publiés sans intention d’en tirer profit, ils tombent dans la catégorie de « fair use » (usage équitable) et ne violent pas les copyrights -– ils ont opté pour une autre stratégie : ridiculiser publiquement les fangirls et leurs créations.

Cela a non seulement l’avantage de les décrédibiliser aux yeux du grand public mais c’est aussi un très bon moyen de faire du buzz, et facile comme tout en plus. Je suis un présentateur à une heure de grande écoute qui va bientôt recevoir Martin Freeman sur le plateau et j’ai envie de faire rigoler le beauf de base ? Je vais sur Google, je tape « Johnlock fanart » (fanart qui met en scène Sherlock Holmes et John Watson, joué par Freeman dans la série), j’imprime quelques exemples qui vont du bisou au porno hardcore et hop ! Le tour est joué. Je montre ça à mon pote la star et on se paye une bonne partie de rigolade sur le dos de ces détraquées qui fantasment toute la journée derrière leur écran.

Le présentateur britannique Graham Norton dans son émission, le 7 mars 2013. Si vous avez le cœur bien accroché et que vous avez plus de 18 ans, allez voir toute la vidéo.

Le présentateur britannique Graham Norton dans son émission, le 7 mars 2013. Si vous avez le cœur bien accroché et que vous avez plus de 18 ans, allez voir toute la vidéo.

Et puis comme ça marche, quand je suis journaliste et que je n’ai pas envie de me fouler à trouver des questions intéressantes –- je m’appelle Caitlin Moran et j’écris pour le Times alors je suis pas payée pour ça, hein –- je reprends les bons conseils de Graham Norton, et, lors de l’avant-première de la nouvelle saison de Sherlock, je fais lire à Martin Freeman et Benedict Cumberbatch, sur scène devant des centaines de personnes, des extraits d’une fanfic érotique que j’ai trouvé sur Internet. Je m’en fous pas mal si l’auteure de la fanfic en question va sûrement voir la vidéo circuler sur Tumblr et en faire une crise cardiaque, c’est légal, après tout, et puis quand on met quelque chose sur le web, c’est bien parce qu’on veut que tout le monde le voit, non ?

Eh bien, non. Les auteurs de fanworks n’ont qu’une envie, c’est qu’on leur foute la paix et qu’on les laisse faire mumuse tranquilles, et certainement pas que des gens extérieurs au fandom viennent les emmerder et remettre en cause leurs pratiques. Oui, certains fanarts sont affreux. Oui, certaines fanfics sont écrites avec les pieds. Non, je n’ai pas envie de savoir de quoi Loki aurait l’air déguisé en strip-teaseuse ou en mère célibataire, pas plus que ce pauvre Tom Hiddleston (pris au piège dans cette vidéo, à partir de 18m52s). Mais qu’il y ait de mauvais fanworks n’est pas le problème. Le problème, c’est qu’on ne parle JAMAIS de fanarts magnifiques qui vous laissent muets d’admiration et de fanfics excellentes qui vous scotchent à votre iPad pendant des heures. On parle TOUJOURS de ce qu’il y a de plus explicite, de plus ridicule et de plus choquant.

Et pourtant, quand on y réfléchit, les pratiques des fangirls sont tout à fait semblables à celles des geeks : partage d’opinions, analyses méta, surexcitation à la sortie d’un nouveau produit, roleplay et cosplay, conventions. Les geeks subissent-ils donc le même sort de lynchage publique? La réponse est oui… il y a vingt ans de cela.

2. La fangirl, c’est comme un geek, mais en pas cool

Les trentenaires comme moi se souviendront peut-être de cette lointaine époque des années 90 lorsque, dans des séries comme Sauvé par le Gong, apparaissaient ces drôles de créatures à l’écran :

Sauvés par le gong

Incroyable mais vrai, c’est comme ça qu’on dépeignait les nerds accros aux jeux vidéos et aux jeux de rôle autrefois. Et comme les temps ont changés ! Aujourd’hui, pas un petit morveux de 5ème qui ne se vante pas d’avoir joué à Call of Duty tout le week-end en cours d’anglais le lundi (je parle d’expérience) et un geek, ça ressemble plutôt à ça :

Sheldon Cooper et l’un de ses fameux tee-shirts, sans doute en vente sur Urban Outfitters ou sur Rad.

Sheldon Cooper et l’un de ses fameux tee-shirts, sans doute en vente sur Urban Outfitters ou sur Rad.

Celui qui hier était la risée de la cour de recrée est devenu un hipster à gros pouvoir d’achat à qui l’on peut vendre une flopée d’éditions collector, et dans un monde qui carbure à Internet, ceux qui maitrisent les ordinateurs sont rois (et, bien entendu, se tapent de belles nanas, à l’instar des héros de The Big Bang Theory).

Mais la fangirl, elle, n’est pas prête de se trouver au centre d’intrigues amoureuses qui dureront sept saisons. Car la fangirl, elle, ressemble à ça :

Laura, fan de Sherlock

Ça, c’est Laura, fan de Sherlock et fan de slash (relations homoérotiques dans les fanworks), qui apparaît dans le premier épisode de la saison 3 de Sherlock, « The Empty Hearse ». Mais attendez, il y a mieux :

Osgood

Ça, c’est Osgood, fan du Docteur qui a fait son apparition dans l’épisode du 50e anniversaire de Doctor Who. Laura et Osgood ont des points communs évidents : cheveux sombres, fins et plats, attributs pas du tout mis en valeur, fringues pas à la mode et caricaturales (look gothique pour l’une, grosses lunettes et blouse blanche pour l’autre) – en clair, elles sont à l’encontre des canons de beauté standards. Ce bon vieux Steven Moffat (dont on ne compte plus les sorties sexistes) a très clairement voulu les rendre indésirables. Dans le cas d’Osgood, il a même réutilisé le vieux cliché de l’inhalateur pour asthmatique histoire d’être sûr, vraiment sûr, qu’on ait bien compris à quel point c’était une nerd.

La fangirl est aujourd’hui victime des mêmes stéréotypes que les geeks d’antan: physiquement inapte, quelconque et sans charme, tout en bas de l’échelle sexuelle, elle reporte sa frustration dans des fantaisies immatures et irréalistes.

Le fait d’associer l’emballement et la passion d’une femme à un certain manque sexuel n’est pas nouveau non plus, et l’hystérie, dans le temps, n’avait pas meilleur remède que le coït salvateur. D’ailleurs, la journaliste Caitlin Moran (oui, encore elle) a tweeté ceci la veille de l’avant-première de Sherlock au British Film Institute :

Apparemment il y a DÉJÀ des gens qui font la queue pour Sherlock au BFI demain #dévouement #engelures - #pucelles - TROP DUR MAIS TROP VRAI

Apparemment il y a DÉJÀ des gens qui font la queue pour Sherlock au BFI demain #dévouement #engelures – #pucelles – TROP DUR MAIS TROP VRAI

Ouais, c’est super LOL, Caitlin, la prochaine fois tu prendras un taxi et tu iras leur dire ça en face au lieu de faire ton numéro de claquette pour tes centaines de milliers d’abonnés sur Twitter. Ne nous étendons pas sur le fait qu’elle considère la virginité comme une caractéristique infamante, ce qui mériterait en soi un autre article, mais il y a tout de même de quoi pleurer quand on constate que ces inepties circulent encore en 2014, et venant qui plus est de quelqu’un que les médias considèrent comme « féministe ».

Par ailleurs, j’attends encore le jour où l’on traitera des fans de foot prêts à tout pour obtenir un billet pour un match de Coupe du Monde de #puceaux. Parce que quand des hommes s’époumonent pendant deux heures dans un stade de foot devant vingt-deux pékins qui courent derrière une balle, personne ne bronche. Par contre, quand des femmes s’extasient pendant deux heures dans une salle de cinéma sur les muscles de Captain America, c’est qu’elles n’ont pas ce qu’il faut à la maison, et en plus elles exaspèrent les « vrais » fans qui sont venus parce qu’ils aiment le comics.

3. La fangirl, ce n’est pas une « vraie » fan

Et c’est là, sans doute, que les problèmes de la fangirl rejoignent ceux de la « fake geek girl ». On considère qu’une fangirl est incapable d’estimer un produit culturel à sa juste valeur, tout ça parce qu’elle a le malheur d’exprimer son appréciation pour le physique de certains personnages.

Donc si j’aime Le Hobbit parce que je l’ai lu quand j’étais petite et que j’aime aussi la voix de ténor de Thorin Oakenshield et les tresses blondes de Fili, je ne peux pas vraiment aimer Le Hobbit. Si je vais voir Thor pour contempler Tom Hiddleston en costume de cuir et sans avoir lu les comics au préalable, tant pis pour moi, je ne pourrai jamais m’intéresser à la trame narrative et aux autres personnages. En clair, mon goût pour les beaux mecs m’empêchera systématiquement d’apprécier pleinement des séries, des films ou des livres, parce que mon cerveau n’est capable que d’une seule et unique pensée monomaniaque et obsessionnelle, et demeure totalement imperméable au reste.

À quand le questionnaire à l’entrée des cinémas pour savoir qui à l’autorisation d’entrer parce que c’est un « vrai » fan ? Pour ma part, je n’ai pas l’impression que les studios Marvel ou Peter Jackson fassent la différence entre les treize euros que je paie pour une séance en 3D et ceux de mon voisin. Au contraire, ils en jouent fichtrement bien, et ils ont raison, parce que lorsque les fangirls s’emparent d’un produit culturel (parfois de façon tout à fait imprévue comme ça a été le cas pour Thor), elles mettent très facilement la main au porte-monnaie et deviennent essentielles dans la stratégie marketing des producteurs.

Ça, les autres fans ont beaucoup de mal à le supporter, surtout dans les vieux fandoms comme ceux de Tolkien ou de Sherlock Holmes (tendance « c’était mieux avant quand on était entre nous »), et la fangirl devient alors un bouc émissaire tout trouvé quand ils n’aiment pas ce qu’ils voient. Voici, à titre d’exemple, quelques commentaires publiés sur The Guardian (attention, gros spoilers sur la page!) après la diffusion du deuxième épisode de la saison 3 de Sherlock que beaucoup ont trouvé décevant :

J’avais peur que cela n’arrive, épisodes qui deviennent de longues lettres d’amour aux fans obsessionnels sur Tumblr. Quel dommage.

J’avais peur que cela n’arrive, épisodes qui deviennent de longues lettres d’amour aux fans obsessionnels sur Tumblr. Quel dommage.

De la pure branlette pour fan, Moffat et Gatiss doivent cesser de fréquenter Tumblr et Twitter et arrêter de faire plaisir aux fangirls et fanboys cinglés, et de nouveau faire de la bonne télévision.

C’était vraiment horrible ! Moffat et Gatiss doivent cesser de lire les commentaires des fangirls sur Tumblr.

C’était une série géniale (…) et je veux qu’elle revienne. (…) Les gars, on veut de nouveau les ténèbres, les frissons. Pas les frissons que veulent les filles (et les garçons) sur Tumblr, mais de vraies histoires pour adultes. Je veux bien accorder aux auteurs de fanfic S1E1 – mais Moftiss, vous auriez dû revenir à l’excellence des débuts pour l’épisode 2 pour que vos vrais fans -– ceux qui parleront encore de Sherlock dans 20 ans, quand les fangirls auront abandonné Johnlock pour suivre une nouvelle mode — continuent à vous applaudir. Comme nous voulons tellement le faire.

Voilà, les dés sont jetés. À cause de moi, il n’y aura bientôt plus d’ « histoires pour adultes » à la télé. Je ne parlerai pas de Sherlock à mes enfants dans vingt ans, tout ça parce que j’aime bien Johnlock (en fait, je n’aime pas Johnlock ni le slash en général et je suis loin d’être une exception, mais bon, pourquoi faire vrai quand on peut faire simple). Et puis je ne leur parlerai pas non plus d’Harry Potter, puisque j’ai passé une bonne partie de mes années de fac à écrire de la fanfic en attendant la sortie de chaque livre et débattre sur des forums en soutenant que Harry allait forcément finir avec Ginny et pas Hermione. Non, je n’étais investie dans l’histoire que parce que je trouvais Daniel Radcliffe super beau (surtout quand il avait onze ans et moi vingt), et c’est sans doute aussi pour cette raison que je relis régulièrement les sept tomes de la saga.

Eh oui, malheureusement pour les « vrais » fans, les fangirls sont extrêmement coriaces, et si beaucoup d’entre nous passent en effet d’un fandom à l’autre au cours des années, notre amour pour nos séries et nos livres préférés reste intact. Et notre soif de passion et de création, elle, ne nous quitte jamais, en dépit de ceux qui voudraient que nous ayons honte de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. Mais ce n’est pas à nous d’avoir honte. Nous n’avons aucune raison de rougir de ce que nous aimons, ni de nous excuser d’ »imposer » nos fanworks à qui que ce soit et quel qu’en soit le contenu. Après tout, ce que je vois tous les jours en rentrant du travail et qui m’est de fait imposé, sans que j’aie besoin de passer par une recherche sur Google Images, c’est ça :

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Perso, je préfèrerais largement un fanart de Iron Man qui roule une pelle à Hulk.

MSI : « la fille ou le jeu ? »

MSI, une entreprise qui crée – entre autres – des cartes graphiques et des cartes mères pour les ordinateurs, a décidé de profiter du vendredi pour poser une question pertinente à ses fans sur Facebook :

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Le sexisme de cette question et de l’image est évident : les hommes sont des obsédés de sexe et/ou de jeu ; les femmes ne servent qu’à être sexy et à être victimes de blagues potaches. A croire qu’MSI n’a que des hommes hétérosexuels (et des femmes aimant les femmes, mais il serait étonnant que cette blague s’adresse à elles) parmi leurs potentiels clients ! Par ailleurs, ont-ils besoin de cette image pour mettre en valeur leur page Facebook et inviter leurs fans à réagir ? Leurs produits ne seraient pas suffisamment intéressants ?

Evidemment, les réactions des fans sont à la hauteur de nos attentes :

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Heureusement, les mentalités évoluent et quelques personnes soulignent à MSI le sexisme de leur question :

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Une informaticienne/geek dans un milieu d’hommes

Trois petites anecdotes de développeuse et joueuse de MMORPG.

Bonne fête !
Une anecdote qui me fait encore pleurer. Il y a quelques années, je cumulais un CDI plein temps d’analyste programmeur web en journée et des cours du soir en licence d’informatique le soir (car je n’avais que des formations qualifiantes et pas de diplôme viable). A ces cours, toutes les personnes avec qui j’interagissais savaient que je travaillais déjà dans le domaine et me demandaient parfois mon aide, hommes comme femmes. Pas aussi souvent qu’on aurait pu l’imaginer vu que j’étais censée être pro parmi les étudiants, mais quand même. C’est un de mes camarades (connaissant mon boulot) qui m’a cloué sur place en m’envoyant, en avril, un SMS me souhaitant une « Bonne fête des secrétaires ! ». Ce n’était pas une blague, et j’ignore toujours ce qui lui est passé par la tête. Des années plus tard, en tant que .Net Consultant (programmation web toujours), un collègue a plaisanté : « Si t’es méchante comme ça t’auras pas de fleurs pour la fête des secrétaires ! » qui me l’a vivement rappelé. Le « pourquoi ? » reste sans réponses, mais très, très amer.

Obéir à une femme ? Jamais !
A une époque, je jouais de manière très investie dans une communauté compétitive sur un jeu type MMORPG. Un jour on recrute un nouveau membre placé sous mon commandement. Tout allait bien jusqu’à ce qu’il entende ma voix et comprenne que j’étais une femme. Après ça il ne m’écoutait plus et rejetait complètement mon autorité et mon savoir. J’ai pris sur moi et pendant des semaines je lui faisais remarquer sans amertume ses moindres erreurs, et m’efforçait d’être de mon côté irréprochable. Ça a porté ses fruits : Il a fini par s’adresser à moi en tant que mec. Genre « [Mon pseudo] est quand même un gars bien ». C’était visiblement la seule façon pour lui de se mettre sous les ordres d’une femme.

Meilleure qu’un homme ? Ha ha, dans tes rêves.
Dans cette même communauté, juste après un patch, il s’est avéré que mon personnage avait été boosté et pouvait à présent rivaliser avec d’autres classes en terme de dégâts. Au premier combat où j’ai fini première du groupe de 25 aux dommages effectués, j’ai reçu dans la foulée des messages privés de trois personnes me disant que, moi, je n’y étais pour rien, que c’était le patch qui avait complètement mal calculé pour moi, qui les avait désavantagés, que normalement ça ne pouvait pas être moi, que ça devrait être eux les premiers, que le boss m’avantageait,…
Euh… Je n’ai rien demandé, je ne me suis pas vantée, à peine étonnée devant mon écran mais sans leur en parler. Pourquoi venir me démonter gratuitement ? Autant ils acceptaient quand j’étais première en « soins donnés » (même si j’étais bien derrière eux en équipement), autant quand ça concerne les dommages effectués, là non, une femme n’est pas recevable. Et tout le temps que je passais à calculer via Excel ou par simulation comment faire le plus de dommage possible n’était visiblement pas à prendre en compte.

Et tant d’autres…
Je ne compte plus le nombre de personnes étonnées voire révoltées que je joue des hommes en jeu de rôle. Ca va du « Tiens, tu joues un homme ? » aux « Non j’interdis qu’on ne joue pas un perso de son sexe à ma table ! ». Quand je voyais les autres personnages joueurs prendre plaisir, dans les jeux de rôle « maléfique », à violer les femmes qu’ils croisaient, je n’avais juste pas envie d’en être une. Et pourtant je devais souvent défendre mon bout de gras pour pouvoir, le temps d’un jeu, être un homme.

Depuis je garde mes écouteurs quasi tout le temps au travail (ce n’est pas un cas isolé, j’ai réussi à compter 20 remarques sexistes en 1h30 de resto par exemple. Allant jusqu’aux « Les femmes, on ne peut pas travailler avec ! » très sérieusement argumenté).
Les MMO je n’y joue que des hommes et ne dévoile quasiment jamais être une femme.
Les jeux de rôles j’ai arrêté.

Deux patriarches pour le prix d’un

Ce que je vais raconter s’est passé il y a quelques jours, lors d’une partie en ligne d’un jeu de survival-horror en coopération, Killing Floor. Dans ce jeu, une équipe de six membres, aux classes variées, doit affronter des vagues de “zeds” : des “armes biologiques” de type zombie, qui usent de capacités différentes pour mettre à mal l’équipe devant les éliminer. Lorsque toutes les vagues sont passées, une vague supplémentaire nous fait affronter le “boss de fin” du jeu, le patriarche (oui, c’est son vrai nom).

L’une des stratégies les plus communes est de répandre au sol des bombes de proximité et d’en former un grand tas pour infliger le plus de dégâts possibles, et j’ai appris à mes dépends lors de cette partie que le patriarche pouvait faire exploser ces bombes de loin, ce qui a valu à mon personnage de périr par ses propres armes. Sous le coup de la surprise, je tape simplement “wut?” (“il s’est passé quoi là ?”) en message pour l’équipe. Et c’est là qu’un des joueurs me répond :

“You died like a woman.” (“Tu es mort comme une femme.”)

Comme ça, de manière totalement gratuite.

Tout d’abord, pourquoi comme une femme ? Les femmes ne savent pas jouer à Killing floor ? Serait-ce inscrit dans leur code génétique ? Ou alors elles savent jouer, mais sont plus douées pour mourir que les hommes ? Si cette charmante personne m’avait dit que je suis mort comme un crétin, ou que je ne sais pas jouer, ça ne m’aurait pas choqué outre mesure (et dans une certaine mesure, il aurait eu raison) : les jeux multi-joueurs ne sont pas connus pour l’amitié chaleureuse qui s’en dégage ou la sympathie de certains joueurs. Mais ici, quelqu’un s’est dit que le plus insultant n’était non pas de me comparer à un noob, mais à une femme. Cette “simple” insulte m’a énervé plus qu’aucune autre n’aurait pu le faire, tout simplement parce qu’au final ce n’était pas moi le plus insulté, mais bien toutes les femmes qui jouent à ce jeu (ainsi que toutes les femmes tout court).

Ensuite, je suis surpris qu’il (je ne pense pas prendre trop de risques en supposant que c’est un homme) ait tout simplement dit cette phrase. Ou plutôt, choisi de la dire. Re-situons le contexte : tous équipés de nos meilleures armes, nous sommes prêts à affronter le patriarche, qui comprend dans son arsenal : une gatling greffée au bras droit pouvant accessoirement servir de lance-roquette (ce qui a détruit mes explosifs), la capacité de devenir invisible, de se soigner deux fois et également une grande force physique pouvant tuer un membre de l’équipe en deux coups seulement, voire en un seul suivant la configuration du combat. Même à six contre un, le combat est serré et long, et, avec un membre de l’équipe déjà mort, le combat n’en sera que plus dur. Pourtant, il a choisi, alors qu’il venait de me voir exploser (ce qui signifiait donc que le patriarche approchait) de s’arrêter, de taper son message, tout cela sous la coupe d’une menace imminente, juste pour sortir une brimade sexiste de mauvais goût, se mettant ainsi en danger ainsi que son équipe. Rabaisser un joueur décontenancé et au passage insulter toutes les femmes ayant jamais joué à ce jeu était plus important que sa propre survie et la victoire de l’équipe. Un indéniable sens des priorités donc.

Dernièrement, notons le court échange qui s’est ensuivi. J’ai directement répliqué à sa phrase par “and you talked like a sexist shit, so fair enough” (“et tu t’es exprimé comme une merde de sexiste, donc c’est kif-kif”), ce à quoi il a répondu par “feminist detected” (“féministe détecté-e”).
Ah.
C’est gênant de se faire “traiter” de féministe juste pour avoir relevé une évidence. Je ne vois pas comment une chose pareille pourrait ne pas être vue comme ouvertement sexiste. Comme dit plus haut, je joue rarement à des jeux en ligne et croiser ce genre de personne ne me donne certainement pas envie de multiplier les essais. En tant qu’homme, ce simple échange m’a mis hors de moi. Mais mon expérience est sans commune mesure avec celle d’une femme. Il serait vraiment temps que plus de joueurs prennent conscience de ce que l’on ressent dans ces cas-là.

 

——–

[Note de Keela]
Les parties en multi-joueurs sont trop souvent une occasion de subir la misogynie d’inconnus. Les insultes sexistes y sont légions, poussant les femmes à se dissimuler ou à ne jouer qu’avec des proches. 

Etre une femme, comme être féministe (autrement dit : considérer que les hommes et les femmes sont égaux) ne devrait pas être une insulte. Le comportement du second « patriarche » en dit long sur ses opinions et sa vision des femmes.

Édité par Keela

Des bimbos pour booster les ventes

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Pour bien vendre le dernier numéro de février 2014 de « Video Gamer », quoi de mieux qu’une tripotée de « bimbos » ? Viens, toi, le lecteur sans jugement critique, viens te prendre plein de nichons (bien gros et rebondis) dans la figure !

Bien sûr, on aurait pu avoir des posters d' »aventurières », d' »héroïnes », de « femmes d’exception du jeu vidéo ». Non ! Nous avons droit au magnifique terme de « bimbos ».
Alors, qu’est-ce qu’une bimbo ?
Wiki nous dit : « Jeune femme superficielle qui prend exagérément soin de son apparence et sait jouer de ses charmes ; une ravissante idiote, une gourde sexy. »
Donc exit le cerveau, le jugement, l’esprit critique, la personnalité.
Les femmes dans le jeu vidéo, c’est des bimbos, peut importe leur rôle.
C’est bien dommage, car sur le poster, on peut apercevoir, entre autres, quelques phénomènes :
– Lara Croft, de Tomb Raider (non, ce n’est plus une aventurière, c’est une jeune femme superficielle) ;
– Nilin, de Remember Me (non, ce n’est plus une battante, c’est une ravissante idiote) ;
– Faith, de Miror’s Edge (pareil, il ne s’agit plus d’une femme aux capacités incroyables, dotée d’un caractère bien trempé, non, simplement d’une potiche).
– Elizabeth, de Bioshock Infinite (Une jeune femme intelligente, combattive et mystérieuse ? Non, une bimbo…)
etc.

Je ne considère pas que cela soit trop de s’énerver sur une telle couverture, quand on connait l’importance des goodies pour faire vendre un magazine.
Non.
Tous ces personnages détruits par UN SEUL MOT, c’est vraiment exaspérant. Résumer toute une variété de personnages par la simple qualification de BIMBOS, c’est terriblement sexiste, réducteur et méprisant.

« Viens lecteur, on t’offre du kiff sexuel, viens t’exciter sur des meufs trop bonnes, des vraies bimbos ! Oublie que ce sont aussi des personnages jouables, aux caractères complexes et particuliers, ne les prends que ce pour quoi elles ont été mises dans ce poster : le kiff de la bimbo ».

Merci les mecs.
Le pire, c’est que je les trouve vraiment beaux, ces deux posters. Ils me font envie. Parce que ces femmes sont belles, mais aussi parce que ce sont des personnages auxquels j’ai joué, que j’ai incarnés. Mais ce terme de « bimbo » détruit tout, car il est terriblement racoleur et salissant.

Je ne vois pas pourquoi on a préféré le mot « bimbo » à « aventurière », « héroïne » ou même « femmes », tout simplement.

Encore une fois, 52 % des joueurs sont des femmes… Et si on arrêtait de les prendre toutes pour des morceaux de viande faites pour appâter le mâle à manettes ?

Édité par Mar_Lard

Au Gros Objectif

J’ai déjà envoyé un article, mais des anecdotes me sont revenues. J’ai travaillé en tant qu’extra dans un laboratoire photo, deux fois deux mois d’été, et quelques jours par-ci par-là, ça aide toujours à arrondir les fins de mois d’étudiante.

Quand j’ai commencé, je ne savais rien du domaine de la photographie, rien, nada, à part appuyer sur le bouton et hop la photo était prise. Pareil en ce qui concerne le domaine de la vente, j’ai tout appris sur le terrain. A la fin du premier mois, j’étais au point sur les bases, et si jamais j’avais besoin d’aide, eh bah, j’allais en demander. Statuons d’abord que dans ces magasins, sur 5 magasins, 1 seul a pour responsable une femme, mais que quasiment tous les vendeurs sont en fait des vendeuses. Parce qu’il faut « bien présenter », alors que le responsable, lui, répond aux questions les plus techniques. Il y a 1 vendeur à temps complet, et un qui avait été engagé il y a deux ans mais qui a rapidement abandonné, alors qu’on lui avait donné le poste de responsable même si il n’était là que depuis peu et que d’autres, femmes donc, avaient plus d’expérience.

Je vous passerais mes expériences avec l’un des responsables, extrêmement macho et qui me donnait les tâches les plus ingrates tout en accumulant les blagues graveleuses, je pense que le sujet a suffisamment été abordé. De même pour tous les clients plus absorbés par mon sourire/mes yeux/ ma féminité avérée que par mon discours.

J’adorais mon boulot, et si je suis partie c’est plus par mésentente avec la direction que pour le travail en lui même. C’est un métier où les sentiments sont forts: souvent, des personnes copient de vieilles photos, de moments heureux, ou de personnes décédées, on développe des photos de voyage, des mariages, bref, le contact est extra.
Et il y a les autres personnes. Ceux qui s’y connaissent et le font savoir, ou qui ne s’y connaissent pas mais s’y connaissent forcément plus que la vendeuse de 17-18 ans (heureusement que je fais plus âgée, même si pas assez pour faire crédible, visiblement). Beaucoup m’ignorent pour parler directement à mon responsable parce que ces messieurs veulent le best du best. C’est à dire, un homme, un vrai, qui a de l’expérience dans la photo, domaine d’hommes, vu qu’il dirige une bande de nanas. Je n’aime pas ces clients qui ont décidé que je ne pouvais pas leur fournir ce dont ils ont besoin, même quand il s’agit de choses simples. A noter que des femmes aussi font partie de cette catégorie….

Parmi eux, un acteur français, on a qu’à l’appeler M.Objectif. Ce cher monsieur a déposé sa commande de photos pendant ma pause déjeuner. Quand je suis retournée travailler, ma collègue m’a annoncé « M.Objectif est passé, c’est un gros client, tout doit être fait pile à l’heure sinon il fera un scandale ». Ravie de le savoir, je ne sais pas qui est ce monsieur. Elle m’a dit dans quoi il avait joué, toute aussi ravie, un client, c’est un client, acteur ou pas.
Plus tard dans la journée, un monsieur entre dans le magasin. Mon responsable est à la production (il s’occupe du développement des différentes commandes), ma collègue déjeune, je suis au comptoir, je l’accueille.

« Bonjour Monsieur !
-….
-… Bonjour ?
-…
– Je peux vous aider ?
-… Non mais euh geste vague vers mon responsable qui n’a pas tourné la tête
– Je peux faire quelque chose pour vous ? »

Intérieurement, je commençais à m’agacer. Mon responsable se tourne vers moi et cingle : « C’est M.Objectif, il veut ses photos ». Suis-je bête, je ne l’ai pas reconnu, cet acteur que je ne connais pas. Les joues rouges de m’être faite rabaissée devant un client, je sors les fameuses photos, et lui donne, attendant qu’il les vérifie pour l’encaisser. M.Objectif décide d’étaler ses photos une à une sur le comptoir. Certes, excusez-moi, je vais faire autre chose pendant ce temps là, pas très envie de faire la potiche. Je me remets au travail, pendant qu’il contemple son oeuvre.
Mon responsable va pour partir déjeuner. M.Objectif le choppe par le bras et lui déclare (je m’en souviendrai TOUTE MA VIE) :

« J’ai besoin d’un avis macho et viril pour mes photos »

J’ai eu l’impression de recevoir une claque. Il ne m’avait pas adressé la parole, m’avait ignoré, s’était conduit en buffle, parce que Monsieur ne veut pas avoir affaire à une femme, point à la ligne. Mon responsable lui a donc prodigué ses conseils pour choisir des photos DE SES FILLES pour en faire des posters. Oui, oui, un avis macho et viril pour faire des posters des photos de ses filles et leur offrir. Le père rêvé, hein.

Posters que j’ai dû, en plein rush de l’après-midi, mettre sous cadre à une cadence effrénée.
Arrive M. Objectif en fin de journée pour récupérer ses posters, déjà payés. Il me lance « Si on pouvait faire vite, parce que je tourne, là. » Au cas où je n’aurais toujours pas compris qu’il était bien, bien, bien plus important que moi.

Sachez que M.Objectif est revenu, et que je l’ai reconnu. Je lui ai tout de même demandé son ticket pour récupérer ses photos, alors qu’il soupirait. Puis, je l’ai regardé droit dans les yeux sans jeter un coup d’œil à son ticket, que j’ai froissé, puis jeté à la poubelle avant de lui récupérer ses photos.

Acteur à la grosse tête, ça peut passer. Acteur misogyne à la grosse tête, faut pas déconner.

Oui, le responsable était macho aussi. Mais j’ai quand même très mal vécu qu’il ne me soutienne pas dans cette situation, alors que dans un autre magasin, un responsable aurait répondu « Je vous laisse avec ma collègue, elle est parfaitement compétente pour répondre à vos question », c’est arrivé, souvent même. En plus de me laisser tomber, il a même participé, par ses réactions, à me faire me sentir comme le dernier des chewing-gums dégueulasses collés sous nos chaussures. Il m’a fallu un an pour prendre assez confiance en moi dans ce métier pour commencer à le remettre à sa place, et à ne plus me laisser faire du tout par ce genre de clients.

Édité par Mar_Lard